Ces derniers temps, j'ai pas mal cogité sur la notion de liberté dans les Jeux de Rôle. Quelle est vraiment notre part de liberté à nous, joueurs, lorsque nous arpentons les scénarios plus ou moins dirigistes que nous propose notre Maître du Jeu ? Sommes-nous vraiment libres de tout faire ?
La réponse, vraisemblablement, est "non" alors que la liberté d'action fut pendant longtemps un argument phare en faveur du Jeu de Rôle. Etonnant paradoxe que la perte de liberté qui menace tout personnage-joueur et peut transformer une session de JDR en épreuve frustrante, digne d'un mauvais jeu vidéo de plate-formes.
La perte de liberté commence avec nos personnages. Dès la création, en fait. Il y a des choses que l'on ne peut pas faire parce que cela ne concorde pas avec la race ou avec la classe choisie. Soit. Certaines règles sont ainsi conçues qu'il sera toujours impossible de jouer un demi-orc diplomate ou un hobbit paladin.
Il y a ensuite l'alignement de D&D qui connut diverses déclinaisons au cours de l'évolution du hobby : le Côté Obscur dans Star Wars, les points d'Humanité dans Cyberpunk 2020 (et dans Vampire aussi ? Je crois), les points de corruption... Tous ces traits n'ont jamais eu qu'un seul et unique rôle (d'un point de vue technique) : limiter les joueurs dans leurs excès. Servir de garde-fou, voire d'épée de Damoclès pour que le MJ ne se retrouve pas débordé par les excentricités de ses PJ.
La perte de liberté continue ensuite dès lors que l'on commence à jouer. Aux tous débuts du JDR, cela sonnait presque comme une blague ("vous êtes attablés dans une auberge, lorsqu'un vieil homme se dirige vers vous et vous adresse la parole...").
Depuis lors, le JDR a évolué. Les artifices qui permettent à l'aventure de démarrer se sont sophistiqués, mais le point de départ est toujours resté le même : "vous" (= les PJ) êtes en train d'attendre une aventure lorsque "quelqu'un" ou "quelque chose" (= le MJ) ne surgisse. Ce peut être, par exemple, une rumeur "que vos personnages souhaitent vérifier". Ou bien une annonce placardée sur les murs de la ville "qui intrigue vos personnages". Ou encore l'appel au secours d'un PNJ "que vos personnages ne peuvent ignorer", etc. Toujours est-il que l'aventure se présente et que les PJ la saisissent. Doivent la saisir. Car il est totalement inconcevable, hors de question, que vos personnages puissent refuser ou ne pas être intéressés. L'aventure, donc, qui emporte les personnages avec elle, se présente-t-elle à eux comme une figure imposée.
Et puis, la perte de liberté peut se poursuivre, dès lors que le MJ impose un chemin à suivre. Pas par vice ou par méchanceté, notez-bien. Ce peut être un manque d'expérience, ou d'aisance dès lors qu'il faut improviser. Ce peut-être aussi une volonté manifeste de sa part de respecter le scénario, surtout si c'est le scénario d'une campagne. Enfin, ce peut être tout simplement parce que le MJ a "sa" vision du monde (surtout si c'est "son" monde à lui, fait maison). Une conception du monde qui n'accepte pas que les joueurs s'en écartent. Parfois à raison, par respect pour l'oeuvre de l'auteur ("non, on joue à JRTM : vous ne pouvez pas faire d'alliances avec les orques. Eux-mêmes ne servent que Sauron"). Mais aussi, parfois, à tort. Si, si.
Dans le pire des cas, un scénario peut devenir dirigiste au point que les joueurs sont frustrés, dégoûtés, énervés. Car ils se sentent privés de leur libre-arbitre. Enchainés à une trame dirigiste comme des galériens à leur banc de force. Dans ce genre de moments, si le MJ n'écoute pas les doléances de ses joueurs, le risque est grand que certains joueurs décident tout simplement de se retirer de la partie. De jeter l'éponge !
Après tout, n'importe quel JDR, pour pouvoir fonctionner, passe par un "contrat moral" entre le MJ et les joueurs (lisez par exemple la "déclaration des Droits du Rôliste"), sur ce qu'il est possible de faire ou non, que ce soit dans (ex : a-t-on le droit de trahir les autres PJ ? Peut-on jouer un PJ mauvais ? etc.) ET hors du jeu (ex : éteindre les portables durant la partie). Et la liberté d'action est définitivement un point fondamental pour tout joueur qui se respecte. Sans libre-arbitre, quel intérêt conserve le jeu de rôle ?
De nombreux JDR récents tels que Wushu, OctaNe, Adventure ! (voir à ce sujet l'article paru sur PtGPtB), le génial Tranchons & Traquons, Chronicles of the Drenaï RPG et bien d'autres encore dessinent petit à petit une nouvelle façon de concevoir le JDR. On parle de "métajeu" intégré dans les règles, de "narrativisme", de "prise de contrôle" de l'histoire par les joueurs. Les concepts se suivent et souvent ne se ressemblent pas. La course à l'innovation semble être la règle comme si le Jeu de Rôle était à réinventer.
Mais finalement, la question demeure toujours la même : Et si l'on rendait enfin aux joueurs la possibilité perdue de pouvoir faire ce qu'ils veulent, car on est dans un jeu de rôle !
Et s'il n'y avait plus de scénarios dirigistes avec parcours fléché pour leur dire où aller, quoi faire, que dire, que penser ?
Et si les joueurs étaient libres de se déplacer dans le monde comme bon leur semble ?
Il existe une expression pour designer cette approche du jeu. Une expression qui regroupe toutes ces questions en un seul et même concept ludique : les "Sandbox games" (ou jeux "non-linéaires", en français). L'ironie veut que cette expression ne soit pas issue du milieu rôliste. Elle vient du monde des jeux vidéos !
Et elle a pris tout son sens avec l'apparition relativement récente de jeux vidéos "novateurs" tels que Fable, GTA 4, Red Dead Redemption, Mount & Blade : Warband et bien d'autres encore. Plus d'une fois, il m'est arrivé d'envier les heureux possesseurs de tels jeux. Plus d'une fois, il m'est arrivé de m'extasier sur la liberté d'action que je pouvais avoir dans Fable. Alors que je suis un rôliste, nom de nom !
Finalement, j'en reviens à ma petite personne égocentrique. Après deux années de JDR en tant que simple joueur, à raison de 1 à 3 parties par mois, je compte bientôt repasser de l'autre côté de l'écran. Là, à force de cogiter sur le sujet, à force également de subir des décisions parfois arbitraires (du moins, c'est mon point de vue éminemment subjectif et partial), j'ai fini un soir par écrire sur un bout de papier une Charte du MJ à mon intention. D'un jet. Sans hésitation. Ca donne ceci :
LA CHARTE DU MAITRE DU JEU :
REGLE N° 1 - TOUJOURS LAISSER LA DECISION AUX JOUEURS.
Ne jamais décider pour les joueurs :
- du chemin à prendre ;
- des actions à entreprendre ;
- de ce qui est bien ou mal
REGLE N° 2 - NE RIEN IMPOSER. SEULEMENT PROPOSER.
REGLE N°3 - NE JAMAIS SE MOQUER DES PJ. NE JAMAIS LES RIDICULISER.
S'ils doivent être ridicules, que ce soit de leur propre chef. Même chose s'ils doivent se mettre dans le pétrin, que ce soit de leur plein gré. Voir à ce sujet l'excellent article
REGLE N° 4 - NE JAMAIS PRENDRE LE CONTRÔLE D'UN PJ !
Le PJ appartient au joueur qui l'a créé. C'est à lui de décider de ce que fait son personnage. Ce qu'il pense, ce qu'il ressent, ce qu'il veut. Tout cela, c'est SON domaine à lui. Pas touche !
REGLE N° 5 - NE PAS ETRE LINEAIRE, NE PAS IMPOSER DE PARCOURS FLECHE
REGLE N° 6 - NE JAMAIS FERMER DE "PORTES" AUX PJ. LAISSER S'EXPRIMER LEUR CREATIVITE. NE PAS LEUR FERMER DES OPTIONS.
Pour faire face à un problème, il y a toujours plusieurs solutions. Pour se rendre à un endroit, il y a toujours plusieurs chemins, plusieurs voies d'accès.
Pour reprendre une expression qu'on m'avait sorti un jour : "si la porte est fermée, je passe par la fenêtre. Si la fenêtre est fermée, je passe par la cheminée. S'il n'y a pas de cheminée ? Eh bien, pas grave, je creuse un trou dans le sol ou je perce un trou dans le mur (comme Léon dans le film éponyme de Luc Besson)"
REGLE N° 7 - NE JAMAIS IMPOSER SON POINT DE VUE, "PARCE QU'ON EST LE MJ" !
REGLE N°8 - LE MJ EST LA POUR DIVERTIR LES JOUEURS, D'ABORD. PAS L'INVERSE.
Pour éviter toute confusion, je crois sincèrement que si vous divertissez vos joueurs, ils vous le rendront au centuple. Par contre, si vous les bridez...
REGLE N° 9 - peut-être la plus importante, LE BUT D'UN JEU DE RÔLE, C'EST DE S'AMUSER ET DE (SE) FAIRE PLAISIR. PAS DE FUN, PAS DE JDR !
Voilà ! J'ai au moins deux de mes futurs joueurs qui vont probablement lire cet article et je me mets déjà la pression tout seul comme un grand. Mais je m'en fous ! Comme Desproges l'a dit un jour : "elle est immense, l'ambition de divertir". Dont acte.
Je me dis que le jeu en vaut la chandelle. Que je n'échangerai pour rien au monde mes parties de JDR contre des après-midis passés sur des jeux vidéos ou des soirés DVD à la maison entre potes. Que rien ne remplacera la convivialité, le fun, la surprise et l'amusement qui naissent d'une bonne partie de JDR.
Et vous, mes amis ? Que pensez-vous de tout cela ? Ai-je raison ? Ai-je tort ? Quel est votre avis sur la question ?
BONS JEUX A TOUS ET A TOUTES !
Pour en savoir plus :
Je dois rendre à César ce qui lui appartient : l'écriture de cet article doit beaucoup à Tranchons & Traquons, que j'ai lu avec passion et que j'ai finalement choisi pour mon retour à la maîtrise (j'ai le trac, j'vous dis pas !), le 26 juin. Les innombrables conseils de Kobayashi valent définitivement le détour.
Pour tous ceux qui s'intéressent à notre hobby et se posent des questions existentielles dessus, deux ouvrages sont incontournables :
- "les forges de la fiction" d'Olivier Caïra, dont j'ai parlé ICI,
- et "Jouer avec l'histoire", qu'il a co-dirigé.
Surtout, le site incontournable reste Places to Go, People to Be (PtG, PtB), génial, et qui existe en version française depuis un bon moment. Vous pouvez y accéder directement en cliquant sur le lien ci-dessous :
http://ptgptb.free.fr/index.php.