Suite aux nombreux commentaires qui ont accompagné mon article sur l'excellent JDRA The Witcher et les échanges d'idées qui s'en
sont ensuivis (notamment avec l'auteur, Sywukil/ Merci à lui pour ses nombreuses et pertinentes interventions), l'évidence s'est imposée d'elle-même, au fil des échanges, qu'il existe toute une
famille d'univers fantastiques, qui a à son tour inspiré et servi de cadre à maints JDR : à savoir celle des univers "médiévaux-gothiques".
Mais qu'est-ce que le "médiéval-gothique" ? Pour résumer, je dirai que ce serait la synthèse de deux genres majeurs de l'Imaginaire : le roman Gothique et la Fantasy. Une synthèse d'autant plus réussie que ces deux genres sont voisins et
dégagent une troublante familiarité, peut-être dûe à leurs sources réciproques.
Le "médiéval-gothique" se tient donc à la croisée des chemins, entre la fantasy "classique" (je veux dire : prenant place dans un univers féodal ressemblant fort à notre Europe
médiévale) et les films d'horreur de la Hammer Films qui, eux-mêmes,
puisent leur inspiration dans les mouvements romantiques allemand
(Goethe, les frères Grimm, Arnim, Caspar David Friedrich...) et britannique (Byron, Shelley, keats...).
I. Définition du genre :
Plus concrètement, quels traits sont constitutifs d'un univers/JDR "médiéval-gothique" ?
1) Une touche horrifique/macabre plus ou moins "corsée" :
Les univers "médiévaux-gothiques" sont généralement
emplis de paysages majestueux... Mais aussi lugubres !
Les montagnes se dressent à pic, semblant déchirer le ciel comme de grandes et monstrueuses griffes... Les ombres s'allongent de façon inquiétante tandis que le jour décline. Les forêts sont
sombres, denses et profondes et les loups y hurlent à la (pleine) lune, tandis qu'une bise glaciale souffle sans pitié. La nuit venue, les gens s'empressent de se barricader à double
tour dans leurs demeures, le coeur rempli d'effroi... Tandis qu'au dehors des créatures de cauchemar rôdent... En quête de chair fraîche !
Enfin, le matin, c'est une brume angoissante qui recouvre les paysages tel un linceul, obscurcissant le regard.
Bref, vous l'aurez compris : ici, tout ici est question d'atmosphère. L'angoisse et le macabre règnent en maître au détriment de l'héroïsme parfois naïf de la High Fantasy. Difficile, impossible même, de ne pas évoquer les
écrits d'Edgar Allan Poe, de Bram Stoker ou de Robert E. Howard (Solomon Kane, notamment, mais Howard écrivit maintes histoires d'horreur) comme référents.
2) De troublantes similitudes avec l'histoire :
L'association des
mots "gothique" et "médiéval" évoquent irrésistiblement des images de cathédrales majestueuses, d'architectures complexes et raffinées, d'arches et de voûtes de pierre s'élevant à des dizaines de mètres du sol. Enfin, de forteresses
imposantes bâties à flanc de collines et surplombant d'immenses villes médiévales, grouillantes de vie (pour plus d'informations sur l'art gothique, je vous invite à lire les articles parus
sur rmn.fr et du site pédagogique de la BNF).
Le lien se fait donc spontanèment et naturellement avec les images / souvenirs / connaissances que nous avons de l'Europe de la fin du Moyen-Age.
Une époque où le "raffinement" des sciences et des technologies, que ce soit dans le domaine des arts, de l'astronomie, de la chirurgie (sans compter les arts de la guerre, avec l'invention
de l'arbalète, des espadons, des premiers canons à poudre, les bombardes) côtoie encore les barbaries et les superstitions de temps plus anciens. Avant l'Humanisme et les lumières de la Renaissance, donc.
Une époque troublée, marquée par les épidémies de peste, par les nombreuses et sanglantes guerres entre royaumes (celle de Cent ans, celle de la Reconquista espagnole, sans oublier les futures guerre de religion !), par la montée en puissance de l'Inquisition et quantités d'autres choses fort peu joyeuses
qui, finalement, inspirent les auteurs (et MJ) et fournissent autant d'occasions d'aventures.
A nouveau, ce sont les aspects angoissants et macabres qui vont dominer les choix narratifs, esthétiques et ludiques des auteurs. Loin des mondes séduisants et manichéens de la High
Fantasy, les univers "médiévaux-gothiques" portent les innombrables stigmates d'une société
féodale injuste et inégalitaire, ravagée par la misère morale et humaine.
3) Une magie rare et inquiétante :
Dans sa recherche d'une atmosphére inquiétante, proche des récits d'épouvante, le genre "médiéval-fantastique" va s'affranchir d'une magie trop puissante et trop "facile" d'utilisation. Ceci dans
un double but :
- d'une part, déposséder les pesonnages d'une confortable "assurance-vie" (pas de prêtres-urgentistes pour lancer des sorts de résurrection contre monnaie sonnante et trébuchante ; pas de
"magos-lance-flammes" pour rôtir sur commandes les adversaires surnaturels ou non qui assailleraient les héros) ;
- d'autre part, rendre à la Magie sa puissance première. Son aura de mystère, à la fois envoutante et intimidante. Dans les jeux de rôle, celà se traduit par une sévère limitation des pouvoirs
accessibles aux PJ, les sortilèges les plus puissants devenant l'apanage exclusif des PNJ. Souvent, des "grands-sorciers-maléfiques-à-l'aura-malsaine" capables des pires atrocités et souvent
rendus fous par leurs pratiques impies (Soit dit en pasant, un grand classique de la fantasy qu'auront popularisé les auteurs américains des Pulps. Notamment, la "trinité noire" : Smith - Lovecraft - Howard).
4) Des héros... Hors-normes :
Face à tous ces dangers (1. paysages mortels et remplis de pièges ; monstres redoutables et bêtes féroces ; 2. épidémies, guerres, intolérance religieuse, etc. 3. Magie entre les mains de
redoutables sorciers), les héros des univers "médiévaux-gothiques" ne sont pas comme les autres. Pour pouvoir affronter tous ces périls, il faut des personnages hors-normes, des combattants
d'élite, sans peur et sans reproche.
Mais le plus souvent, dans ces univers cruels et sans pitié, cette supériorité du héros (caractérisée par une volonté de fer et/ou le recours à des pouvoirs surnaturels) se pare également
d'une certaine ambiguité, voire d'un manque de scrupules. Le héros y revêt souvent le rôle d'un outsider, voire d'un paria.
En marge de la société de son temps, il est affranchi des peurs qui accablent ses contemporains. Seul à même d'affronter les dangers du monde extérieur, il suscite l'incrédulité, la
méfiance, voire la haine. Bref, nous sommes là très loin des clichés du paladin sans peur et sans reproche, au front tout auréolé de lumière et à l'armure scintillante. Dans un univers aussi
crépusculaire, il ne pouvait en être autrement.
II. Les JDR "médiévaux-gothiques" :
Ainsi, réflexion faite, plusieurs JDR peuvent être regroupés au sein de cette famille !
1. Du côté des JDRA:
Nous avons :
- The Witcher, dont j'ai déjà fait l'éloge ;
- Shadow
Crusade (12 pages, en anglais), de Kobayashi, met en scène les Ombres ("shadows" en VO), des chasseurs de démons,
dôtés de pouvoirs monstrueux après avoir été "infusés" avec du sang de démon. L'action se passe dans un monde médiéval-fantastique sombre et désespéré.
Les pouvoirs des Ombres, s'ils leur permettent de "combattre le feu avec le feu" sont aussi une arme à double tranchant, puisqu'ils menacent à tout moment de leur faire perdre le
contrôle d'eux-mêmes. A chaque usage de leur pouvoir, ils prennent le risque de devenir des monstres tout aussi sanguinaires que ceux qu'ils pourchassent. Conséquence : ils doivent
constamment lutter pour juguler leurs pulsions les plus primaires sous peine de sombrer (= devenir PNJ).
Simple, court (12 pages), évocateur, Shadow Crusade tire son inspiration de mangas fantasy glauques et ultra-violents comme Claymore ou encore
Berserk. A noter qu'il est basé sur les règles de Dread : the first book of Pandemonium, un JDR
d'horreur contemporain résolument orienté vers l'action, et indispensable pour pouvoir jouer.
Pour ceux qui seraient tentés, Kobayashi a rédigé une critique fort complète du jeu
sur le site de Casus-NO. Il existe aussi un kit de démo du jeu, les "Disciple 12 rules", traduit en français sous le titre de "Manuel de survie technique" (22 pages).
Enfin, pour ceux qui seraient intéressés/conquis par les règles de Dread, sachez que :
- la "player's section" du jeu est disponible en téléchargement gratuit (soit 141pages !!!) qui
reprennent TOUTES les règles essentielles pour pouvoir jouer ! Seuls manquent à l'appel les chapitres du MJ et les scénarios du livre de base (qui totalise 278 pages).
- il existe plusieurs suppléments et une suite du jeu, intitulée Spite : the second book of Pandemonium, devrait sortir ce mois-ci. Bref, un JDR à suivre, assurèment
!
- l'excellent Sovereign, édité sur le site 1km1kt. vous propose quant à lui de jouer des "Suzerains" ("Sovereigns" en VO), des orphelins recueillis et éduqués dans un
souci de dévotion fervente et fanatique à l'Empereur. Devenus à l'age adulte des guerriers redoutés, dôtés d'une autorité qui les place (théoriquement) en situation de force, y compris vis à vis
des plus hautes autorités de l'Empire, les Suzerains arpentent ce dernier de long en large, ne répondant qu'à une seule autorité. Celle de l'Empereur, leur maître.... Mais les apparences sont
plus que trompeuses et vos PJ sont loin d'imaginer ce qui se trame dans l'ombre...
- Du côté de Mythopoetic games, il existe un jeu tout à fait impressionnant et digne d'éloges : Danse Macabre.
Totalisant plus de 200 pages avec ses extensions (4 à ce jour), ce JDR d'horreur médiévale, co-écrit par Christopher Johnstone et Dean Suter, propose aux PJ d'incarner des personnages ordinaires,
confrontés au surnaturel dans une Europe médiévale, plus fantasmée que réelle, hantée. Très axé roleplay, remarquablement écrit (Christopher Johnstone est auteur de nombreuses
fictions, dont certaines peuvent être découvertes sur son site "The Somniloquist"), le jeu permet notamment de simuler
les tiraillements de l'âme, entre vertus et pêchés, dans un univers où Dieu et le Diable se disputent les pauvres âmes des mortels. Bref, à lire
ab-so-lu-ment (comme tous les autres jeux de Mythopoetic Games, d'ailleurs) !
2. Du côté des JDR du commerce :
Personnellement, je ne vois (pour l'instant !) que deux jeux, mais lesquels !
- l'ancêtre à tous, est
naturellement Ravenloft, de TSR. Abondamment développé au fil des années ; extrêmement bien fourni en suppléments ; plébiscité par les fans pour la qualité de son univers ;
servi par des romans de qualité (les meilleurs, paraît-il, tirés d'un univers AD&D), Ravenloft est un univers à la saveur unique.
Remarquable d'originalité, il a su dépasser les limites et défauts des règles d'AD&D pour s'imposer dans le coeur des rôlistes comme une référence du JDR anglo-saxon (à
l'instar de Planescape ou encore Dark Sun).
Fans de Ravenloft, deux sites s'imposent pour vous, à visiter de toute urgence :
a. l'excellent site Secrets of the Kargatane, qui propose plusieurs netbooks et aventures à télécharger gratuitement, tous gratuits et
sous forme de .pdf zippés (en anglais).
b. autre site incontournable pour tous les fans de cet univers macabre, the Fraternity of
Shadows regorge d'aides de jeu qui enthousiasmeront le Maître du Jeu.
- De nombreux aspects thématiques et esthétiques de son univers font également de Warhammer JDRF une source d'inspiration pour bon nombres de JDR "médiévaux-gothiques". Même s'il
s'inscrit plus dans le médiéval-fantstique pur et dur, Warhammer JDRF convoque de nombreux éléments gothiques dans son univers. Eléments accentués avec la deuxième édition du
jeu.
- 100% gothique, Vampire Dark Ages mérite toute notre attention.
D'une part, pour son orientation horrifique, qui nous permet de passer dans le "camp" des monstres, en jouant des vampires dans un Moyen-Age effrayant, plongé dans les ténèbres.
D'autre part, pour l'époque choisie par ses concepteurs. En effet, l'action se situe entre les XII et XIIIe siècles, en pleine croisade. Un cadre qui permet donc aux MJ ambitieux
de mettre en scène le choc entre orient et occident, vu du point de vue de seigneurs vampires surpuissants. A mi-chemin entre le "Dracula" de Francis Ford Coppola (notamment la
magnifique scène d'introduction du film) et le "Kingdom of Heaven" de Riddley Scott. En un mot : waouw !!!
Si le jeu n'est hélas plus édité, la gamme a bénéficié d'une foule de suppléments tout à fait intéressants comme "Jerusalem by Night", "Constantinople by Night",
"Dark Ages : Fae", etc. Il est possible d'en consulter la liste complète sur le site pen & paper (www.pen-paper.net). D'autre part, le site wiki de White Wolf consacre plusieurs pages à Vampire : Dark Ages.
Côté français :
- la scénariothèque propose plusieurs documents tout à fait dignes
d'intérêt, comme par exemple, une présentation détaillée (75 pages !) de Jerusalem.
- même verdict pour la page dédiée du SDEN : à consulter de toute
urgence !
3. Un cas à part : Solomon Kane :
Qu'il me soit permis de faire un écart pour citer les deux jeux de rôle consacrés à Solomon Kane, le héros puritain de Robert E. Howard :
- Solomon Kane, le superbe JDRA d'Olivier Legrand ;
- et The Savage World of Solomon
Kane, de Pinnacle, et basé sur les règles de Savage Worlds (donc excellent !).
Si le cadre de ses aventures n'est pas strictement "médiéval" (le héros évolue dans l'Angleterre Elisabethaine avant d'aller explorer le Continent Noir, l'Afrique !), ces dernières méritent
largement le détour tant elles peuvent alimenter l'imaginaire de tout MJ des autres jeux précités. Quant aux JDR, la version de Pinnacle peut, avec un peu d'imagination être transposée quelques
siècles en arrière (pourquoi pas pendant la guerre de Cent Ans, par exemple ?) et la version d'Olivier Legrand est remarquablement écrite, avec moult conseils de jeux tous plus pertinents les uns
que les autres. Mon avis personnel ? Même si vous ne comptez pas jouer à ce dernier jeu, prenez néanmoins le temps de le lire, vous ne le regretterez pas.
CONCLUSION :
Est-ce tout ? Assurèment, non. Je n'ai que trop conscience d'avoir effleuré la partie émergée de l'Iceberg et nul doute que de nombreux autres JDR et JDRA mériteraient d'être cités dans cet
article. A mon grand regret, je ressens là bien cruellement les avanies qui touchent le GROG, incontournable encyclopédie en ligne de notre hobby préféré. Avanies qui touchent
heureusement à leur fin.
J'espère néanmoins vous avoir donné envie de partir à la découverte de ces jeux, et plus largement de ce genre si particulier entre fantasy classique et récits d'épouvante, à l'atmosphère si
originale. A tous et à toutes...
... Bonne lecture et bons jeux !
Post-scriptum : vous connaissez d'autres JDR "médiévaux-gothiques" que j'aurai eu l'outrecuidance de ne pas nommer en ces lignes ? N'hésitez pas
un seul instant : la rubrique "commentaires" est là pour vous permettre de redresser les torts et faire entendre votre voix. Donnez votre avis, venez partager vos coups de coeur et vos
impressions... Bref, participez.
Voulez-vous en savoir plus ?
Sur www.krinein.com, vous découvrirez un excellent
dossier, ultra-complet et érudit, sur le fantastique gothique au cinéma, ses origines littéraires, ses grands courants, son "Âge d'Or", ses interprètes inoubliables (Boris Karloff, Vincent
Price, Bela Lugosi, mais aussi Mario Bava, Ingrid Pitt, Udo Kier, etc.); bref, une somme indispensable !
Ci-dessous, vous trouverez les liens. Bonne lecture !
- le fantastique gothique - partie 1 ;
- le fantastique gothique - partie 2 ;
- le fantastique gothique - partie 3.