C'est en visitant l'excellent blog d'Anniceris, passionnant, bien écrit et d'une rare richesse, que j'ai découvert l'existence des versions non-officielles de Chivalry & Sorcery, le vénérable JDR médiéval-fantastique de Fantasy Games Unlimited.
De quoi s'agit-il ? En son temps, Chivalry & Sorcery (C&S) fit partie des JDR ultra-simulationnistes et encyclopédiques phare de FGU, aux côtés de Space Opera et du post-apocalyptique Aftermath.
On peut dire de chacun d'eux qu'il a été "l'arbre qui cache la forêt". Car ces trois jeux ont donné à FGU la réputation de ne créer que des jeux injouables, à la complexité inégalée et inutile. Des "monster games" vénérés par une minorité de fans et regardés avec incrédulité par la majorité.
En vérité, FGU donna naissance également à des jeux beaucoup plus accessibles qu'on ne veut bien le croire (Gangster, Merc, Psi World...) dont quelques-un mythiques (notamment Bushido et Daredevils).
Mais il est vrai également que C&S marqua les esprits par sa volonté "d'authenticité", par ses règles touffues et complexes, par sa police de caractère ultra-petite et par la densité de son contenu.
En 128 pages, la première édition du jeu couvre tous les aspects de la société féodale et tente de jeter un pont entre la fantasy "tolkiennienne" d'AD&D et le Moyen-Age romancé des Prince Valliant, Ivanhoé et consorts.
Il y a des règles pour gérer le combat, les difféents types de magie et les "miracles" des prêtres mais aussi le mariage, les fortifications médiévales, l'art de la guerre, la gestion d'un fief, les lois et les coutumes, la justice, le droit régalien et les impôts, l'héraldique, l avie quotidienne, la médecine médiévale, le mercenariat, le poids de l'église, les instruments de tortures "de l'époque" (sic ), les traditions païennes (avec les druides), les cabbales et organisations occultes...
Au final, le souci d'exhaustivité des auteurs a abouti à une somme impressionnante d'informations, hélas organisées de façon peu accessible. Comprenez que ce n'est pas un jeu facile d'accès, même selon les standards de l'époque !
Après bien des années d'activité, FGU entra en sommeil. Chivalry & Sorcery connut une troisième édition en 1996, plus moderne, publiée par Highlander Design Games.
Le contenu fut grandement réaménagé pour être plus acccessible.
La mise en page fut aérée et le contenu dispersé entre plusieurs ouvrages ("Gamemaster's Handbook", "Creatures Bestiary", etc.).
Mais hélas, ce fut un échec commercial et Highlander Design Games disparut.
Au début des années 2000, le flambeau fut repris par Brittania Games qui édita une quatrième édition, surnommée "Rebirth" (renaissance).
Brittania Games tenta non seulement de relancer la gamme mais aussi de l'ouvrir aux nouvaux joueurs via une version "simplifiée" (C&S Essence) controversée.
Car au grand dam des fans, des points de règle ont été retirés du jeu au fil des éditions, les uns après les autres : règles de combats de masse, de commerce médiéval, de construction de chateaux-forts, de gestion des voyages (terrestres, fluviaux et maritimes), etc.
C'est ainsi que des puristes décidèrent de rééditer le "Red Book", soit la toute première édition du jeu, sans demander la moindre autorisation. En totale rupture avec les moutures récentes de Chivalry & Sorcery, le "Red Book" compile TOUTES les règles de la première édition et en invente/rajoute de nouvelles.
Dans la foulée, le "Red Book" reprend à l'identique la couverture de la première édition, la même police ("Courier"! On a vu plus sexy depuis quand même), la même taille de police et la même maquette ultra-serrée.
A la lecture, voilà ce que ça donne. Si vos yeux piquent, rassurez-vous, c'est normal!
En trois éditions, surnommées respectivement "Phoenix", "Chimera" puis "Gorgon", le "Red Book" est passé de 122 à 227, puis 338 et enfin 489 pages! Oui mes amis, quatre-cent-quatre-vingt-neuf pages écrites tout petit. Un inconcevable monument. Un truc de fou !
Dans son coin, Brittania Games (qui détient la licence officielle du jeu et les droits sur le jeu) enrage, se sent spolié et entame des actions en justice.
Tandis que de leur côté, les compilateurs rendent hommage aux auteurs décédés : Wilfried Backhaus, Edward Simbalist, Jan Vrapcenak et Wes Ives. Pour eux, le "Red Book" est un hommage à leur mémoire. Une oeuvre 100% fidèle, respectueuse de leurs travaux passés. Une retranscription fidèle de ce qu'ils ont écrit. Je suis tenté d'écrire, un monument aux morts.
Aujourd'hui, en 2012, alors que la mode est aux jeux narrativistes, pourquoi en parler, me demanderez-vous ? Pourquoi s'intéresser à ce jeu réputé injouable.
Tout d'abord, Il y a la curiosité de (re-)découvrir ce vénérable ancêtre dans une version intégrale et non-expurgée. Deux qualificatifs qui ont une grande valeur à mes yeux. Imaginez qu'on vous propose de feuilleter le mythique "Troll Pack" de Runequest et non une version "mise à jour", "relookée" pour un public contemporain.
Mai surtout, à la lecture, on trouve une foule d'informations intéressantes dans cette austère compilation. Je ne crois pas que je jouerai un jour à Chivalry & Sorcery, je n'en ai ni le temps, ni le goût, ni l'envie. Mais il y a là quantité de données passionnantes à "piquer", à importer dans sa campagne, quel que soit le jeu que l'on pratique.
Par exemple, le chapitre sur les tortures médiévales (pp. 88 à 90) décrit une foule d'instruments tous plus répugnants les uns que les autres. Des instruments que j'utiliserai volontiers pour remplir le donjon abandonné d'un vil sorcier du chaos (dans un "dungeon crawl" à la Swords & Wizardry). Ou pour créer une ambiance gothique dans un scénario d'horreur. A moins que les personnages soient des investigateurs et qu'ils découvrent durant leur enquête toute une salle de torture ! Ambiance assurée !
Autre exemple : le chapitre sur l'hommage et la vassalité, sur les droits féodaux et les obligations comporte tout plein d'idées de scénarios pour mettre en scène des personnages nobles (chevaliers comme courtisans) empêtrés dans leurs engagements vis à vis de leur seigneur lige, sommés de tenir leurs engagements...
Dernier exemple : le long chapitre sur les fortifications médiévales, passionnant, vous évitera la lecture de maints ouvrages historiques (ou l'achat de suppléments pour Pendragon). Tout est là, dans une forme concise et adaptée au jeu.
Clairement, Chivalry & Sorcery a toutes les chances de vous intéresser si vous jouez, comme moi, à un JDR médiéval-fantastique générique (en l'occurence, dans mon cas : Labyrinth Lord).
Il y a là quantité d'informations "historiques", de données techniques et de règles de jeu à reprendre pour donner plus d'épaisseur à votre campagne habituelle.
J'ai envie de dire que nous avons là un "sourcebook" non-officiel pour tout rétro-clone et JDR old-school disponible actuellement.
Enfin et par dessus tout, le "Red Book" est GRATUIT ! Tapez "download C&S7 Gorgon" dans Google et vous finirez par trouver une version .pdf qui vous attend, quelque part sur le net. Zéro euros. Pourquoi hésiter ?
Foncez vous procurer cette septième édition du jeu avant qu'elle ne disparaisse du net sous la pression féroce des juristes du Mordor (la première édition et "Red Book" faisant référence à maintes reprises aux Terres du Milieu, New Line Cinéma est sur le coup !)
Bons downloads.
Bons jeux à tous et à toutes !