A. La terreur dans les Jeux de Rôles : "Peur, moi ? Jamais !"
Faire peur... Instiller l'effroi... L'angoisse... Inspirer l'horreur... La panique... Terroriser...
Si cette démarche se voit parfois couronnée de succès, dans la littérature mais aussi et surtout au cinéma, elle est en revanche totalement hasardeuse dès lors que l'on s'aventure dans le domaine
ludique.
En fait, je serais même tenté de dire qu'une telle tentative est quasi vouée à l'échec ! Car après tout, comment faire pour créer ce sentiment oppressant de peur à un goupe d'amis
venus se divertir et passer un bon moment ensemble, en bonne compagnie ? Non pas que le genre "épouvante/horreur" ne soit pas représenté dans l'univers des jeux de Rôles, bien au
contraire ! L'Appel de Cthulhu, et sa déclinaison "Gumshoe" traduite par le 7ème Cercle, mais aussi CHILL, Maléfices, Crimes, Hex, et quantité d'autres jeux témoignent au
contraire de l'engouement des joueurs pour ce genre à part entière.
Seulement voilà, vos joueurs sont venus à votre table pour s'amuser.
Prenons le cas d'un autre jeu. Pendragon, par exemple. Vous, MJ, pouvez avoir consacré des semaines entières à potasser des ouvrages universitaires sur le mythe
Arthurien, les légendes celtiques, la mythologie, le paganisme, le Moyen-Age et tutti quanti. Vous pouvez avoir appris par coeur les règles du jeu, fait des dizaines de simulation de combats, de
duels, de tests divers pour ne pas être pris au dépourvu. Eh bien, malgré tout ces efforts, tout ce travail fourni, vous pouvez être sûr que le jour J, un joueur, n'importe lequel, à un moment ou
à un autre, va vous sortir des blagues vaseuses qui feront rire tout le monde, ou bien citer des répliques de Kaamelott qui
transformeront votre belle aventure en un succédané du Sacré Graal des Monty Python !
Quelque part, cet aspect délirant-auto-parodique est symptomatique d'une partie de JDR. J'oserais dire d'une bonne partie. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à lire les extraits de partie
consignés par oliver Caïra dans son livre "Les Forges de la Fiction". Ou bien, plus parlantes encore, les diverses BD parodiques qui pullulent sur le web (et autrefois finissaient
même par être disponibles en librairie. Je pense à "Kroc le Bô" et aux "Irrécupérables", parus dans Casus Belli).
Grosso modo, le rôliste lambda aime à plaisanter, à lancer des vannes, à rire de ses bêtises et de celles des autres (tapez "bétisier JDR" dans un moteur de recherches type google, vous verrez...). Celà
n'exclue aucun des autres comportements "classiques" constatés autour d'une table de jeu (le "roleplayer", l'optimisateur ("min-maxer" en VO), le tacticien, le gros-bill, etc). simplement, le but
du jeu étant de s'amuser, chacun finit tôt ou tard par rire et plaisanter du scénario, de ce que dit le MJ et de ce que disent les autres joueurs...
Alors, dans ce contexte, comment convier (conjurer ? invoquer ?) la peur lors d'une partie de jeu de Rôle ?
C'est à cette question que s'efforce depuis dix ans de répondre Johann Scipion, avec le JDR dont il est l'auteur : Sombre.
B. Sombre Light : "construire" la Peur...
Basé sur un système simple et épuré, baptisé Corpse (pour corps, santé, esprit, les trois caractéristiques de base. Les anglophones apprécieront au passage le jeu de mot), Sombre existe
aujourd'hui dans une version démo (Sombre : Light), de 76 pages, que vous pouvez télécharger gratuitement et tester chez vous.
Que nous propose donc ce "tout nouveau" JDR - encore en cours d'élaboration - qui puisse le distinguer de ses glorieux ainés ?
Tout d'abord, Sombre est un jeu générique, sans contexte pré-établi. Pas de Grands Anciens, prêts à s'abattre sur l'humanité, ni d'organisation dédiée à la protéger comme la S.AU.V.E. de Chill ou
le Club Van Helsing (à découvrir ici). Pas de listes interminables de monstres/démons/morts vivants à lâcher sur vos joueurs. Sombre
sera ce que VOUS en ferez (c'est-à-dire, vous et vos joueurs, bien entendu). Libre à vous d'en établir les règles, les limites, les excès, selon vos goûts en matière d'horreur (gore ?
Psychologique ? Fantastique ? Réaliste ? etc.).
Ensuite, et surtout, Sombre propose une réflexion approfondie et très pertinente sur le genre de l'épouvante. A la lecture du jeu, il apparaît clairement que Johann est un
passionné du genre. Un amateur éclairé et érudit qui analyse/passe en revue les codes et les techniques de narration qui ont fait leurs preuves, notamment au cinéma, pour ensuite tenter de les
restituer au mieux autour d'une table de JDR.
Cette approche pointue, quasi-médicale se retrouve dans sa critique du film "Isolation" (disponible en .pdf sur le site de Terres étranges). Je
souhaite que d'autres critiques, tout aussi réussies, accompagnent la version finale du jeu, ou du moins, soient proposées sur le site, tant elles peuvent servir d'inspiration/réflexion au
MJ.
Notamment, la démarche de Johann passe par l'énumération d'évidences, certes, mais
qui détonnent par rapport à une approche "classique" du JDR. Ainsi, le jeu propose de jouer des victimes !
Logique implacable : dans un film d'horreur, les protagonistes ne sont pas des "personnages-joueurs". Et surement pas des héros !
Ce sont des victimes, mal préparées à affronter ce qui les attend, sous-équipées, qui
accumulent les pires coups du sort, les pires malchances. Le destin semble s'acharner cruellement sur elles tandis que la/les menace(s) se précise(nt) et que la mort s'abat sur elles.
Sombre développe intelligemment cette approche du jeu et fournit maints exemples au lecteur pour mieux affiner/préciser son propos.
Enfin, les mécanismes et la gestion d'une partie sont pensés pour simuler au plus près l'ambiance des films d'horreur. Les règles de somatisation, de traumatismes, et leurs applications, ne sont
que quelques exemples, fort significatifs, des idées que développe avec succès (selon moi) le jeu. Plus qu'ailleurs, le meneur est ici le "maître" du jeu, puisqu'il peut décider de
court-circuiter un jet de peur ou de somatisation, le retarder pour maintenir le suspense et/ou prolonger les affres dans lesquels sont plongés le joueur. Les conseils qui lui sont donnés
sont très clairs, pertinents et dénotent une solide expérience du jeu d'horreur.
La conclusion : Explorez votre côté... Sombre !
Très bien écrit et remarquablement construit, Sombre : Light a accaparé mon attention. On sent une passion et un travail réels derrière ce jeu. Certes, je suis loin d'avoir
fini ma lecture. Et surtout, il me reste à tester le jeu en live avec mes joueurs. Accepteront-ils de jouer le jeu et de délaisser leurs guerriers nains, leurs barbares demi-orcs et
leurs sorciers elfes pour, le temps d'une partie, jouer des personnages ordinaires, victimes d'un destin cruel et impitoyable ?
Je l'espère en tout cas et vous invite vivement à découvrir Sombre : Light à votre tour. Visitez le site officiel (http://terresetranges.net/sombre.php3), le forum, et n'hésitez pas à donner votre avis (constructif, celà va sans dire) à l'auteur qui vous en saura
gré.
A tous et à toutes, bons downloads et bons jeux !
PS : un grand merci à jeepee, sans qui je n'aurai pas découvert Sombre - Light 0.3. Visitez son site
; "il le vaut bien" !