Tout récit a un commencement. Toute histoire a un début, aussi modeste soit-il. Cette première session fut conçue ouvertement comme une session "d'échauffement" pour les joueurs, afin de leur présenter progressivement l'univers futuriste du jeu (un peu) et les mécanismes des règles (essentiellement).
L'histoire commence donc par une chaude soirée de printemps, dans l'un des Stuffer Shacks de la banlieue de Jacksonville. C'est là que nous découvrons Giovanni, alias "Maestro", nain de son état et magicien hors-pair plongé dans l'ennui, cherchant désespérément une nourriture décente, apte à améliorer son ordinaire, tout en écoutant la Cinquième Symphonie de Beethoven, son casque enfoncé sur les oreilles.
Soudain, une bande de gangers orcs fait irruption dans le magasin, armes au poing et fonce droit sur la gérante. "Donne-nous ton fric, salope !", hurle le chef. Une détonation retentit, assourdissante. Le nain sursaute, ramené bien malgré lui dans le monde réel. Un rapide coup d'oeil lui permet de voir une large tache rouge sur le mur devant lequel se tenait la patronne du Stuffer Shack, quelques secondes plus tôt. La malheureuse n'aura pas vu sa mort venir.
Paniqué, "Maestro" passe en revue dans sa tête toutes les options possibles, tandis que les Gangers, probablement défonçés, hurlent et braquent leurs armes sur les clients qui se jettent à terre terrifiés. Utiliser un sort d'illusion puis fuir par la porte de derrière ? Tenter un sort offensif sur le chef ? Puis contre les autres ? Non, trop risqué. L'énergie magique va draîner toutes ses forces.
C'est alors qu'il aperçoit une silhouette massive qui avance résolument vers le magasin. Un agent de la Lone Star ? N'importe ! "Maestro" décide de saisir l'occasion et se décide pour un sort de manipulation mentale. Concentré, oubliant sa peur, le nain cible l'un des gangers orcs, une brute à la mine patibulaire. La magie fait son oeuvre et le regard de l'orc devient vitreux, comme s'il était en transe. "Eh ? Qu'est-ce qu'y t'arrive ?", lui demande, vaguement inquiet, son compagnon, armé d'un fusil d'assaut. A ce moment-là, la porte s'ouvre pour laisser passer un troll massif, en tenue de cuir.
Et le carnage commence.
Droit comme un "I", large d'épaules, immense, le troll lance un "salut" aux orcs interloqués avant de faire feu, droit sur le chef. Ce dernier n'a pas le temps de comprendre ce qu'il lui arrive que deux balles à haute vélocité le percutent en pleine poitrine, le projetant en arrière. Dans le même moment, l'orc contrôlé par Giovanni/Maestro fait feu sur son compagnon d'armes, qui s'écroule. Les quelques rares civils qui assistent à la scène, étendus au sol, sont horrifiés. Tout autour d'eux, c'est l'enfer qui se déchaîne. Certains paniquent et poussent des hurlements stridents, que couvrent sans problème les détonations rauques des armes à feu. Avec un léger rictus, le troll enchaîne un second ganger qu'il abat sans pitié.
Les trois derniers gangers se replient dans le fond du magasin et s'apprêtent à vider les chargeurs de leurs armes lourdes lorsque la porte de derrière s'ouvre à son tour. Une silhouette de cuir noir fond sur eux, trop rapide pour l'oeil. Quatres détonations retentissent, quasi simultanées et deux des orcs, fauchés, s'écroulent au sol.
Dans un hurlement féroce, l'un des clients, hystérique, frappe le dernier orc qui tombe au sol, à moitié assommé. Il ne se relèvera pas. Déjà, l'homme est sur lui et lui martèle le visage de coups de poing, paniqué. Lorsqu'il finit de frapper, hagard, le souffle court, les jointures de ses deux mains en piteux état, le visage du ganger est devenu une bouillie sanguinolente.
Pendant ce temps, la silhouette de cuir noir se rapproche du troll : une elfe ! Maestro se relève, éberlué. Le jeune femme est somptueuse et se déplace avec une aisance toute féline. Une panthère à forme humaine. Un fauve à sa place dans la jungle urbaine des grandes villes.
"C'était trop facile" lâche l'elfe avec une expression amusée sur le visage. "Mais c'est toujours un bon entraînement" finit-t-elle par conclure, en haussant les épaules. Son compagnon ne répond pas, balayant du regard la scène. Son regard se pose sur le nain, qui frémit.
"Hum ! Et bien merci pour votre intervent..." commence-t-il.
"Les flics !" crie quelqu'un. Aussitôt, toutes les personnes présentes se lèvent et prennent leurs jambes à leur cou. Dans cette partie mal famée de la ville, personne n'a envie de finir sa nuit dans un poste de la Lone Star Floride, ni de devoir répondre à toutes sortes de questions embarrassantes.
"On s'casse" lâche sobrement le troll. L'elfe opine du chef et lui emboîte le pas, sereinement.
"Eh ! Attendez !" leur crie le nain. Pas question de laisser passer une occasion pareille ! Des tueurs aussi efficaces. Ce doivent être des Shadowrunners, comme lui. Et leur intervention désintéressée dans le Stuffer Shack ne doit vouloir dire qu'une seule chose : qu'ils sont comme lui désoeuvrés. Sans emploi.
Maestro se rue à leur suite. Puis tout à coup, s'arrête net, frappé par l'inspiration.
"Non", se dit-il. "Il manque quelque chose". Se retournant, le nain se concentre, entonne des invocations tout en traçant dans l'air des arabesques compliquées, tissant la toile complexe de la magie, avant de s'arrêter satisfait. "Voilà qui est mieux". Avec un rire sardonique, il se retourne enfin et s'enfonce à son tour dans les ombres, à la poursuite de ses deux nouveaux compagnons de route. Lorsque les voitures blindées de la Lone Star arrivent sur les lieux de la fusillade, c'est pour découvrir, interloqués, une illusion en trois dimension d’un orchestre classique jouant... La cinquième Symphonie !
Plus tard, le nain expliqua à ses compagnons embarrassés : "Vous comprenez ? Ludwig Van aurait aimé. J'en suis persuadé".
Plus tard...
Notre trio d'aventuriers décide de courir les ombres ensemble. Après tout, "l'union fait la force" comme le dit si bien le proverbe, et en associant leurs compétences, nos shadowrunners débutants ont plus de chance de se faire connaître.
Car il leur faut bien faire face à la triste réalité : ils ont la notoriété d’un livreur de pizza du quartier ! Pas l'idéal pour décrocher des contrats juteux. La mort dans l'âme, ayant besoin d'un "travail" quelqu'il soit, nos runners acceptent de servir de gardes du corps à un peti mac local, qui se fait appeler "Gigi".
Depuis quelques temps, le bonhomme se fait emmerder par de jeunes Gangers. Menaces et agressions verbales, notamment contre ses filles ont eu lieu. Gigi craint que le gang ne passe à l'étape supérieure et ne veut surtout pas que ses filles soient menacées. Pas par philantropie, naturellement, mais parce que "c'est mauvais pour le commerce".
La promesse d'un travail plus passionnant, plus excitant, et mieux rémunéré attend nos runners au bout de cette première mission, qui mine de rien, va nécessiter (déjà) qu'ils fassent preuve de doigté. Planque et filature seront de rigueur, afin de pouvoir mettre un terme définitif aux agissements de ces petits malfrats.
Enfin, leur contact, François, les mets en contact avec deux autres Shadowrunners, un Rigger prénommé Matthew, et un indien peu loquace, qui se présente comme Joe Lightfoot.
Le décor est planté. L'aventure peut commencer...
Jack point : selon les forums locaux, les petits crétins qui ont repeint en rouge vif l’intérieur du Stuffer Shack "chez Molly" étaient des inconnus de la pègre locale. Tous sauf un : un ancien Fils du Diable, viré du gang à cause de ses compétences minables.
Il semblerait également que l'arme utilisée contre les gangers était un fusil d'assaut Ares. Ce type d’arme étant très contrôlé, des rumeurs font le rapprochement avec un stock d’arme volé lors d’une exfiltration qui eut lieu dans un entrepôt d’Arès il y a deux ans.
Arès : "Notre savoir faire au service de votre sécurité"
LEXIQUE :
Ganger = voyou, petit malfrat dans l'univers de Shadowrun.
Jack point = note d’information sur des forums des ombres. Forums informels, officieux et souvent illégaux.
Stuffer Shack = supérette.