Avertissement : le présent article étant 100% subjectif (il ne s'agit après tout que de mon opinion), je souhaite le laisser "ouvert", c'est-à-dire le modifier
en fonction de vos retours et de vos opinions. L'enrichir de vos propres réflexions. Je fais donc appel à vos avis et critiques et vous remercie par avance des commentaires, idées et réflexions
que vous voudrez bien laisser.
^_^
- olivier
INTRO : L'EXEMPLE DE SHAINTAR
Ainsi que je
l'expliquais dans la première partie de ma critique de
Shaintar, le Jeu de Rôles épique et héroïque de Sean Patrick Fannon, l'univers décrit dans le jeu est ultra-manichéen et
s'inscrit dans la tradition de la High Fantasy. Il s'agit d'un monde en noir et blanc, ravagé par d'incessants combats ayant opposé "autrefois" les Forces du Bien et du Mal.
Une terre de dangers et de magie, riche de merveilles et d'aventures.
Surtout, Shaintar est sur le point d'être déchiré par une future guerre, terrible et dévastatrice, où les "héros" (les PJ) vont avoir un rôle majeur à jouer.
Dans cette orientation épique que souhaite donner l'auteur, les choix autorisés aux joueurs se retrouvent restreints : leurs personnages seront des "héros" au sens fort du terme : nobles, héroïques, honorables, loyaux jusqu'à la mort.
L'auteur pousse sa logique jusqu'à déconseiller voire prohiber certains désavantages ("hindrances") des règles officielles : "sanguinaire", "cupide",
"agressif" sont rejetés car considérés comme favorisant l'anti-jeu. D'autres défauts, en revanche, sont encouragés, car correspondant d'avantage à l'ambiance souhaitée : "loyal", "code
d'honneur", "héroïque".
Or, que penser d'un tel dirigisme ? Si certains MJ et joueurs peuvent l'accepter (c'est mon cas), d'autres sont exaspérés par une telle attitude et se sentent
brimés dans leur pratique du JDR...
I. Tout jouer...
Mon avis personnel en la matière est que certains jeux (Fallout RPG, Fable , CONAN, etc.) permettent de jouer tous les types de personnages, y compris des "salauds" de la pire espèce.
En effet :
a) Soit ces univers-là rejettent le manichéisme "Bien-Mal" pour développer un discours autre, souvent plus fin qu'il n'y parait à première vue.
b) Soit sont trop "orientés" pour permettre d'incarner tous les types de personnages (du moins, sans poser de problèmes aux autres joueurs et au MJ).
Ainsi :
a) le monde Hyborien, théâtre des aventures fracassantes de CONAN, est également pour son créateur, Robert E. Howard, l'objet
d'une réflexion terriblement pessimiste sur la nature humaine et sur les valeurs de "barbarie" et de "civilisation".
De même, les Jeunes Royaumes d'Elric de Melniboné, s'avèrent être gangrénés par la lutte entre la Loi et le Chaos. Condamnés à disparaître dans une fin du monde
apocalyptique.
L'entropie est si puissante, si forte dans les romans (et la pensée) de Moorcock qu'Elric se révèle être lui-même la cause des nombreuses tragédies qu'il endure (ce qui le fait
souffrir d'avantage encore). Son royaume, la femme qu'il aime, ses amis... Tous meurent de sa main ou à cause de lui. Elric causera sa propre perte et finira tué par son épée,
Stormbringer !
De tels univers étant riches en "zones d'ombre", en ambiguïtés de toutes sortes, il s'avère alors inadéquat de leur appliquer arbitrairement une conception
manichéenne du monde : d'un côté, le "Bien". De l'autre, le "Mal".
b) D'autres univers de jeux aiment au contraire jouer des ambiguïtés et d'une conception plurielle du monde ("plusieurs choix s'offrent à vous. Que faites-vous ?") pour poser la question des choix moraux du/des héros comme postulat central du jeu.
Très bon exemple : le jeu vidéo Fable confronte sans cesse le joueur à des choix moraux (mentir/dire la vérité ? secourir/abandonner une personne en détresse ? achever/épargner un adversaire vaincu en duel ? etc.). Ces choix, ces "dilemnes" occupent une place centrale dans le jeu puisqu'ils déterminent :
- l'apparence du personnage : à haut niveau, un personnage bon a une petite auréole au dessus de la tête et est accompagné en permanence par un faisceau de lumière. En revanche, un personnage maléfique aura des cornes, des yeux rouges et sera entouré de mouches !
- l'attitude des gens qu'il rencontre : le héros vertueux est acclamé, salué. Le héros maléfique effraie les quidams qui implorent sa pitié dès qu'il passe.
- les missions qui lui sont proposées : si un joueur veut rester bon (ou mauvais), certaines missions ne peuvent être accomplies car elles auraient alors un impact sur son alignement. De même, certaines quêtes ne peuvent être déverouillées (ce qui fait que seul un joueur "neutre" peut finir le jeu à 100%).
II. ... Ou ne pas tout jouer...
Il apparaît donc que c'est le concept d'un jeu (et/ou d'un univers) qui finit par orienter "logiquement" le concept d'un personnage. Et dans cette
optique, nombre de JDR ne permettent pas de tout jouer, loin s'en faut !
Par exemple, jouer un personnage pacifiste-peureux-effrayé-par-la-vue-du-sang passe sans problème dans des JDR d'ambiance "light" comme
Animonde ou P'tites Sorcières.
En revanche, un tel personnage n'aurait à priori absolument pas sa place dans des univers désespérés et sombres comme ceux de Stella Inquisitorus,
Warhammer 40K ou encore Vampire - la
mascarade.
Qu'on essaie par exemple d'imaginer quelques secondes de dialogue autour d'une table du World of Darkness :
- Joueur 1 : "non, non, j'ai peur du sang"
- Les autres joueurs : "Mais ?... Tu es un vampire !!!"
- Joueur 1 : "oui, peut-être, mais j'ai le sang en horreur ! Et puis vous êtes tous méchants. Moi, je ne veux tuer personne"
- Les autres joueurs : "??? Euh... Tu déconnes, là ? ...".
Un tel personnage relève de l'anomalie pure et simple (encore que certains jeux comme Stella Inquisitorus permettent ce genre de "délires" par leur humour noir
sous-jacent ). Sa seule existence est incongrue, hors de propos.
Dans le même ordre d'idées, il semble plus que difficile (pas forcèment impossible, notez bien !) d'imaginer un PJ cruel et sadique dans des jeux "à tendance héroïque" comme
Marvel Super Heroes, Mutants and Masterminds, Tiers-Age, ou bien
encore (j'y reviens) Shaintar.
Simplement, dans tous les cas de figure que je viens d'énumérer, nous nous retrouvons :
- soit face à des jeux orientés "léger" (Animonde, P'tites
Sorcières) ou "positifs" (les Super-Héros, Tiers-Age, Shaintar) ;
- soit face à des jeux orientés "sombres", "négatifs" (le World of Darkness, est typique de cette orientation).
Dans de tels univers, on s'attend à un certain style de jeu, à une certaine ambiance... Bref, à un certain type de personnages. Par
conséquent, l'insistance du joueur à vouloir incarner un personnage "hors-normes", à contre-courant,risque alors d'être perçue au mieux comme une
bizarrerie, au pire comme un caprice ridicule, puéril, voire une tentative de "sabotage" de la partie.
III. ... Telle est la question !
La véritable question est celle-ci : à trop s'éloigner de l'ambiance recherchée, ne risque-t-on pas de dégoûter/se mettre à dos les fans
du jeu, assis à la table ? Après tout, le JDR n'est-il pas un loisir collectif ?
Pour poser la question autrement : peut-on imaginer un PJ samouraï qui passe son temps à bafouer le code du Bushido, à rejeter les règles de sa caste, à se comporter sans honneur ? Si on
veut on jouer "dans l'esprit", NON. Cent fois non. Car ce que les MJ et les autres joueurs autour de la table attendent de lui, c'est qu'il se comporte en "vrai" samouraï. Qu'il suive plus
ou moins "à la lettre" le Hagakure. Qu'il respecte les principes du bushido.
Quand bien même le joueur voudrait persister dans son interprétation, envers et contre tous, le risque est réel qu'il dégoûte les autres joueurs par son attitude. Que ces derniers le considèrent
comme un piètre rôliste, un "naze" ("il sait pas jouer"). Pis, comme un "saboteur"... Dans tous les cas : un indésirable !
Naturellement, une telle incompréhension peut être évitée "en amont", c'est-à-dire avant la partie. Par exemple, le joueur peut (et
devrait, afin d'éviter toute incompréhension) annoncer : "les gars, je n'ai pas envie de jouer un samouraï pur et dur. Je préférerai que mon perso soit un ronin sans
honneur. Un couard qui préfère se goinfrer que pratiquer le sabre". A ce moment-là, avant que la partie ne commence, la problématique du
personnage est posée : le joueur ne veut pas en faire un héros ou un anti-héros. Il a plus envie d'incarner un clown, un bouffon. C'est son choix et il en a tout à fait le droit (après tout,
chacun est là pour s'amuser, pas vrai ?).
Après, c'est aux autres joueurs et au MJ d'en discuter avec lui, de voir s'ils sont d'accord ou pas, et pourquoi. Ainsi, tout risque de conflit ultérieur pourra être désamorçé au
préalable.
Dans le même ordre d'idées, on peut tout à fait imaginer un MJ proposant à ses joueurs d'incarner une bande de traîtres renégats humains à la solde du Mordor. ""Est-ce que celà vous tenterait
?". Si les joueurs sont d'accord, alors, tant mieux pour le MJ qui pourra masteriser son scénario maison "hors des sentiers battus". Sinon, tant pis pour son idée, ses joueurs n'étant pas
prêts à l'ccepter (peut-être plus tard ? Ou bien avec un autre groupe).
Dans tous les cas, bonne nouvelle : la partie va -enfin- pouvoir commencer.
Conclusion ?
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je préfère en rester là pour laisser la place à vos propres idées. Je serais ravi de connaître vos
opinions sur le sujet. Alors, lachez-vous, n'hésitez pas (restez constructifs quand même !) et exprimez-vous !
Enfin, afin de prolonger quelque peu cette réflexion, je vous recommande vivement l'excellent site "Places to Go, People to Be", dont j'avais déjà parlé précédemment, et qui propose divers articles très intéressants dont celui-ci, traduit en français.
A tous et à toutes, bons jeux !