"Ils resteront deux siècles en Terre Sainte, pillant et massacrant au nom de Dieu. Cette incursion barbare de l'Occident au coeur du monde musulman marque le
début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme".
Récemment prété par un ami, "Les croisades vues par les arabes" est un bouquin formidable qui a su vaincre mes à-priori, m'a convaincu, séduit et que j'ai découvert et lu avec
passion.
En effet, bien plus fin et subtil que ne le laisait présager sa quatrième de couverture et son sous-titre un brin racoleur ("la barbarie franque en Terre Sainte"), le récit d'Amin
Maalouf n'est pas un simple réquisitoire, qu'on aurait pu envisager au service d'une idéologie (ceci dit sans aucune connotation péjorative), mais bien un réel livre d'histoire. Un
ouvrage de vulgarisation (au sens le plus noble du terme), remarquablement documenté et bénéficiant, ô combien, des indéniables talents de conteur de l'écrivain.
Car Amin Maalouf est un grand écrivain, doublé d'un érudit et d'un humaniste, un auteur sensible à la plume
inspirée. Lauréat d'un prix goncourt en 1993, pour son roman "le rocher de Tanios".
De fait, son récit des Croisades s'avère à la fois riche et vivant. Avec fluidité, il déroule sous nos yeux le récit incroyable de cette sanglante odyssée. Cet incroyable choc des
civilisations qui, aujourd'hui encore, est resté vivace dans les consciences collectives.
Comme dans tout livre d'histoire qui se respecte, Maalouf nous raconte les chocs des batailles, les incertitudes et les compromissions des potentats locaux, les alliances diplomatiques. Il dresse
le portrait des grands hommes et datifie méticuleusement chacun des grands événements qui jalonnèrent cette époque troublée.
Mais loin de s'en contenter, il va plus loin, s'attachant aux populations civiles, pour lesquelles il ressent une profonde empathie, et dont il nous fait partager les affres. A ses côtés, nous
découvrons le ressenti de ces populations prises entre l'enclume et le marteau.
Il nous fait partager leurs peurs et leurs espoirs. Leurs colères et leur incrédulité.
Avec verve, il nous fait pénétrer dans le secret des intrigues de palais, nous fait découvrir "l'envers du décor" : ce monde musulman dont les dirigeants sont corrompus et/ou englués dans leurs
querelles dynastiques. Côté Franc, il nous rapporte les exactions commises, les serments non-tenus, les trahisons et l'absence de scrupules des grands chefs croisés.
Surtout, il lève le voile sur les incroyables actes de cruauté qui cimentèrent l'union des musulmans autour de plusieurs figures de proue : Saladin, bien entendu, mais aussi Imadeddin
Zinki, Moureddin Mahmoud, Ibn Al-Kachab et bien d'autres encore.
Sans parti pris (sauf pour les populations civiles, rappelons-le), il nous relate les erreurs des uns et des autres, les jalousies, les trahisons, les mauvais choix tactiques, les alliances
les plus improbables, les compromissions, au cours d'un récit captivant et sans cesse étonnant.
Indéniablement, plus qu'un "simple" conflit religieux qui aurait opposé chrétiens et musulmans, les croisades furent bien plutôt un violent choc des civilisations. Un séisme cataclysmique qui
vint remettre en cause les fragiles équilibres politico-militaires entre les différentes puissances présentes. Turcs, arabes, francs, chiites, sunnites, coptes, orthodoxes,
latins, juifs... Ce que l'on appelle la "Terre Sainte", c'est une incroyable mosaïque de peuples, de croyances, d'origines ethniques, de dynasties rivales, de califats en lutte depuis des
décennies... Dans cet incroyable imbroglio, les occidentaux vinrent tout bouleverser, se taillant une place dans cet espace géopolitique à grands coups d'épée.
Ainsi, aux massacres et aux saccages de la Première Croisade succèderont des conflits beaucoup moins "tranchés" : d'incroyables intrigues politico-militaires, faites d'alliances fragiles, de
trahisons, de complots internes et de coups de main sanglants.A mon sens, rien ne résume mieux l'absurdité (et l'ambiguité) des croisades que cette bataille de Tell Bacher (en octobre 1108),
telle que nous la décrit Amin Maalouf (page 92) :
"Dans un camp, Tancrède d'Antioche, entouré de mille cinq cent chevaliers et fantassins francs (...) A leurs côtés se tiennent six
cent cavaliers turcs aux longues tresses, envoyés par Redwan d'Alep.
Dans l'autre camp, l'émir de Mossoul, Jawali (...) dont l'armée comprend deux mille hommes répartis en trois bataillons : à gauche, des arabes, à droite, des turcs, et au centre des
chevaliers francs, parmi lesquels Baudouin d'Edesse, et son cousin Jocelin, maître de Tell Bacher (...)
Décidément, on n'avait pas attendu longtemps pour voir les "Franj" devenir partenaires à part entièredu jeu de massacre des roitelets musulmans !"
Bref, ce livre, qui se lit comme un roman, quasiment d'une traite, s'avère être une lecture indispensable, pour tous les passionnés d'histoire, certes, mais aussi pour tous les rôlistes.
Que votre JDR favori soit directement tiré des Croisades (Secretum Templi, Miles Christi, Légendes des Mille-et-Une nuits),
inspiré des Croisades (Capharnaüm, bien sûr) ou bien qu'il soit une quelconque fantasy arabisante, sans rapport avec la réalité historique (Al
Qadim, Gurps Arabian Nights), "Les croisades vues par les arabes" est un livre à lire ab-so-lument, à la fois comme source d'inspiration pour vos scénarios
mais aussi comme source de réflexion.
A tous et à toutes,
Bonne lecture et bons jeux !
Pour en savoir plus :
- visitez le site officiel d'Amin Maalouf : www.aminmaalouf.org
- le site Wikipedia propose une courte, mais informative, une biographie d'Amin Maalouf. A découvrir
ici.
- sur les Croisades, il existe une foule de livres et de sites Internet. Parmi tous ceux que vous pourrez consulter, je vous suggère le dossier proposé par herodote.fr et naturellement, Wikipedia, pour sa bibliographie et pour les documents proposés.
- A noter qu'Amin Maalouf propose, dans ses notes (situées à la fin du livre), plusieurs pistes de lecture, ma foi, fort intéressantes.