Amis
rôlistes, si vous aimez les univers historiques, les atmosphères inquiétantes, l'étrange, le fantastique, les récits de complot, les intrigues tortueuses, le macabre... Ne passez pas à côté de
l'excellent film "The Countess" (en français, "La comtesse"), actuellement en salle.
Réalisé, écrit et interprété avec maestria par Julie Delpy (dont je garde un souvenir ému pour sa prestation troublante dans "Killing Zoe"), "The Countess" est un film passionnant et riche. Un film ô combien précieux en ces temps troublés que vit le cinéma actuel, dominé par l'arrogante machine à fric hollywoodienne et son omniprésente/insupportable "3D".
De quoi parle "The Countess" ? Du destin tragique d'Erzsebeth Bathory, comtesse riche et puissante qui vécut au dix-septième siècle et fut accusée de s'être baigné dans le sang de jeunes filles vierges, dans le fol espoir de conserver une jeunesse éternelle. Accusée de centaines de meurtres, Erzsebeth Bathory fut emmurée vivante dans son chateau. Elle finit par rendre l'âme en 1614, seule, dans la honte et l'infamie.
Par la suite, sa terrible légende alimenta maints récits horrifiques et de nombreuses personnes pensent qu'elle fut une source d'inpiration directe pour Bram Stoker, autant que Vlad Dracul, lorsqu'il rédigea son célèbre roman "Dracula". A sa suite, de nombreux romanciers et scénaristes s'inspirèrent de son histoire : Bathory fut tour à tour ogresse, vampire, sorcière, succube, démone, serial-killer avant de connaître, au vingtième siècle, une étonnante forme de postérité "grâce à" la musique Heavy-Metal.
Loin de ces divagations, c'est le destin tragique, hors-norme de cette femme de pouvoir que le film cherche à explorer. Car rien n'est certain dans l'histoire officielle de la "sanglante comtesse". Rien ! Pas même le nombre réel de ses supposées victimes (les chiffres hésitent entre une trentaine et plus de six-cent meurtres !). Aujourd'hui encore, les historiens débattent. Bathory était-elle vraiment coupable ? Ou bien était-elle innocente et victime d'un complot ?
Avec une réelle sensibilité et beaucoup d'empathie, Julie Delpy refuse de trancher et nous propose les deux versions de l'histoire. Dans le même élan, la réalisatrice refuse de recourir aux habituelles imageries gore associées à la Comtesse, vulgaires, et leur préfère le pouvoir de la suggestion. Enfin, elle bannit tout érotisme racoleur pour mieux dessiner le portrait supposé de cette femme solitaire et complexe. C'est ce triple refus, cette triple rébellion contre la légende grand-guignolesque de la "Comtesse Sanglante" qui donne au film toute sa singularité.
Avec sincérité, avec conviction, avec intelligence et subtilité, Julie Delpy n'affirme rien. Elle montre tout et rien (on voit la Vierge de Fer, mais on ne voit pas les meurtres). Elle soulève les questions qui dérangent. Elle n'accuse pas mais elle n'innocente pas non plus. Brillamment, elle fait naître le doute, nous prenant par la main pour mieux nous égarer. "L'histoire est écrite par les vainqueurs" commente le narrateur dès les toutes premières images du film. La phrase, répétée à la toute fin, poursuit le spectateur à la sortie du film. Car en définitive, qu'avons-nous réellement vu ? Et que savons-nous réellement d'Erzsebeth Bathory ?
Qu'y a t-il de certain dans ce film ? Eh bien, il y a la cruauté de l'époque, indéniable, marquée par les chasses aux sorcières et la guerre féroce contre les turcs (1593 - 1606). Il y a les luttes de pouvoir et les machinations. Les conflits d'intérêt qui, dans l'ombre, ont peut-être préparé la chute de Bathory ? Il y a ce roi de Hongrie, Matthias Ier, rempli d'ambitions et d'intrigues, qui devait une fortune considérable à Bathory et à son défunt mari, le comte Nadasdy. Il y a enfin les moeurs et le poids de la religion. Le poids de l'obscurantisme et de la superstition, qui relèguent la femme à un rang subalterne. Le veuvage d'Erzsebeth, femme intelligente et cultivée, richissime. Des "indices" que sème Julie Delpy mais qui ne prouvent rien. Le doute domine jusqu'à la dernière image. Absolu. Irréductible.
Si le fond est intéressant, la forme mérite tout autant votre attention.
Tout d'abord, il y a des acteurs formidables, notamment John Hurt, qui livre une prestation remarquable, toute en autorité. Mais aussi Anamaria Marinca, qui joue le rôle de la confidente de Bathory. Charly Hübner qui incarne son mari, le brutal comte Nadasdy. Sebastian Blomberg, surprenant et vénéneux (quoique, j'ai trouvé son rôle un peu caricatural). Frederick Lau. Daniel Brühl ... Tous livrent une interprétation rigoureuse et parfois, inspirée.
Ensuite, surtout, il règne sur le long-métrage une atmosphère incroyablement délétère. Morbide même. En optant pour une mise en scène volontairement lente (qui rebutera plus d'un spectateur, hélas), Julie Delpy insuffle au film tout entier le rythme d'une marche funèbre. Les paysages sont hivernaux, brumeux. Des arbres squelettiques bordent les flancs du château comtal. Le froid semble omniprésent. Bref, l'ambiance est saisissante, renforcée encore par une musique, certes répétitive, mais qui remplit parfaitement son office.
Quant à Julie Delpy, que dire si ce n'est qu'elle habite littéralement le rôle ? A l'écran, elle est Bathory. Sa sincérité est indéniable. Son intégrité, son investissement forcent le respect.
Alors, oui, nous sommes très, très loin d'Avatar et consorts. Il n'y a pas de "3D", ni de déflagrations monstrueuses. Pas de monstres en images de synthèse. Pas de manichéisme réducteur ("gentils contre méchants = gentils gagnent"). Pas de simplification à outrance. Pas de glamour, ni de "jeunisme abétissant".
Mais qu'est-ce que ça fait du bien !!!
Pour conclure, amis rôlistes, si vous êtes fans d'ambiances gothiques et/ou conspiratrices, que vous aimez le Monde des Ténèbres, ou bien que vous souhaitez maîtriser Le Trône de Fer JDR, foncez découvrir "The Coutess", une formidable source d'inspiration et de réflexion pour vos prochaines parties.
BONS JEUX A TOUS ET A TOUTES !