Que se passe-t-il quand un génie de la bande dessinée moderne (Alan Moore), connu pour ses audaces narratives et formelles, s'attaque à l'oeuvre d'un génie de la littérature fantastique (H.P. Lovecraft), avec l'envie clairement affichée de produire une oeuvre extrême, perturbante et totalement dépourvue de toute (auto-)censure ?
La réponse nous attend dans Neonomicon, un "roman graphique" sulfureux illustré par le talentueux Jacen Burrows (Crossed, traduit en français chez Milady Graphics).
Neonomicon raconte l'histoire de deux agents du FBI, partis enquêter sur les meurtres sadiques d'un tueur en série. Leur enquête va les confronter aux agisssements dépravés d'une secte démente vénérant les Grands Anciens et les emporter pour un voyage au bout de l'horreur...
Dans une interview, Moore explique avoir voulu se confronter directement à tout ce qui était censuré par Lovecraft lui-même et ceux qui l'ont pastiché (Derleth, Bloch et consorts) : les fameux "rites blasphématoires" sur lesquels le romancier s'empressait de jeter un voile pudique. Sacrifices sanglants et orgies sexuelles donc, qui sont montrées au lecteur. Crûment. Dans toute leur horreur.
Véritable choc, Neonomicon n'a laissé personne indifférent aux états-unis. A vrai dire, il faut chercher du côté des Hentaï japonais pour trouver un équivalent graphique. Les avis divers postés sur la Toile sont éloquents. Certains fans et critiques portent "Neonomicon" aux nues et parlent d'oeuvre "sadienne", "forte", "extrême", "dérangeante". D'autres avouent leur désarroi le plus total, voire leur dégoût et préfèrent voir en Neonomicon un "travail de commande", purement alimentaire et dénué des qualités littéraires généralement prétées à l'écrivain britannique.
Quand à ce dernier, il confesse : "C'est une de mes oeuvres les plus sombres, les plus misanthropiques (...). J'étais de très mauvaise humeur".
Une interview parue sur le site "the skinny" nous en apprend plus sur les circonstances de la création de Neonomicon.
Alan Moore : "j'étais empli d'une rage noire et je pense que cela a transpiré à travers l'histoire. C'est devenu vraiment moche. Je voulais être inflexible. Je me disais, si j'écris une histoire d'horreur, alors, rendons-la horrible. Faisons-en le genre de trucs que l'on ne voit pas d'ordinaire dans des récits d'épouvante. Parce que William Christensen [d'Avatar Press] a dit, peut-être sottement : "écoute, tu peux aller aussi loin que tu veux". Je le lui ai fait répéter et j'ai même ajouté : "Attends... Quoi ? Je peux montrer des érections ? Des pénétrations ?" et lui répondait : "Bien sûr !". Je ne sais pas s'il pensait que j'allais vraiment le faire ou pas mais... Ouais, je l'ai fait. D'une façon que je n'avais jamais fait auparavant pour parler de sexe. Vraiment affreux. Jacen Burrows a fait un travail incroyable sur les graphismes. C'est terrifiant.Mais c'est aussi attirant. Je suis revenu en arrière et j'ai relu mes manuscrits et je me suis dit"est-ce que je suis allé trop loin ?". Quand je regarde en arrière, je me dis que, peut-être, oui, je suis allé trop loin, mais c'est toujours une bonne histoire".
Que dire de plus ? Neonomicon connaîtra-t-il une sortie française ? Ou demeurera-t-il une curiosité, réservée aux seuls anglophiles. Le nom d'Alan Moore étant vendeur, il est fort probable que la première hypothèse soit la bonne. Amateurs du Mythe et d'horreur pure, restez sur vos gardes, Neonomicon vous attend !
Pour en savoir plus :
Lisez la critique de la série, sur le site fluctuat.net : ICI et LA. Toujours sur Fluctuat.net, voici une petite biographie du célèbre scénariste anglais.
Si vous lisez l'anglais, je vous conseille l'interview de Jacen Burrows sur le site Bleeding Cool.
vous pouvez également visiter le site d'Avatar Press, qui édite Neonomicon.