Lors de ma dernière partie de Labyrinth Lord, quelques échanges vifs entre joueurs et avec moi-même eurent lieu pendant et surtout après la partie.
Ces échanges ô combien fructueux me permirent de réaliser à quel point j'avais été lacunaire sur les postulats de ma campagne. C'est-à-dire sur la façon dont je concevais ma campagne, le royaume d'Alarian et donc, sur ce que les personnages joueurs étaient en droit de faire ou non durant nos parties.
En clair : je n'avais pas pris le temps de fixer au préalable les conventions d'usage qui régissent "mon" monde, "ma" campagne. Cette erreur grossière fut source d'incompréhensions et d'erreurs d'interprétation.
En toute bonne foi, je ne pensais pas devoir y recourir. Labyrinth Lord étant un retro-clone de Donjons & Dragons, cette seule définition me semblait suffire pour fixer l'univers du jeu.
En effet, me suis-je dit, tout rôliste digne de ce nom connait D&D, n'est-ce pas ? Tout rôliste sait que c'est un jeu à niveau et à classes. Donc, un jeu dont le système de règles est restrictif. Cadré.
Ce n'est pas un système ouvert comme le Basic System de Chaosium , dans lesquel la progression se fait au fil des scénarios, à chaque session, chaque compétence évoluant indépendamment des autres.
Eh bien, j'avais tort. Cela ne suffisait pas. Et je crois bien que cette vérité peut s'appliquer à tout jeu de rôle. Même si vous vous apprêtez à maitriser un JDR super-connu comme l'Appel de Cthulhu, Warhammer ou Shadowrun, vous devez vous attendre à ce que les joueurs ne connaissent pas l'univers. Ou plutôt qu'ils croient connaître l'univers et qu'ils en aient une vision tronquée, fausse, imparfaite.
Autant d'écueils à éviter avant même que ne débute votre campagne. Sans quoi, vous risquez de vous retrouver avec :
- des PJ bourrins et sans finesse dans l'univers ultra-fliqué et sous surveillance de Shadowrun ("ah bon ? Fallait avoir une fausse identité pour infiltrer l'immeuble ? Euh... Oui, j'avais laissé mon comm-link allumé. Pourquoi ? Y a un problème ?").
- des PJ se voulant chevaleresques dans l'univers impitoyable et corrompu de Warhammer ("mais pourquoi ce noble nous jette-t-il en prison ? On lui apportait les preuves de l'existence d'une secte chaotique à Middenheim ?")
- des investigateurs se voulant héroïques à l'Appel de Cthulhu ("c'est bon, on va aller voir ce qu'il y a dans la caverne, j'ai un fusil à pompe avec moi, ça devrait aller...). Ou pire, des investigateurs belliqueux ("Comment ça, il tient encore debout ?? Je vient de lui tirer trois cartouches à bout portant !!!").
Suite à cette série d'échanges, j'ai fini par rédiger puis envoyer par mail les postulats de ma campagne Alarian/Labyrinth Lord. C'était une rectification nécessaire pour pouvoir continuer.
En voici les principaux.
A. LA SOCIETE
Le monde est féodal, l'équivalent de notre moyen-âge européen entre les XI et XIIe siècle, avec quelques anachronismes sur lesquels nous passerons.
Petit aparté : Le niveau technologique est assez bas. Pas de mécanismes complexes, pas de poudre ni de canons ni d'armes à feu. Tout ce qui relève d'un niveau technologique supérieur à ce qui se faisait aux alentours de l'an 1000 (les armures de plates, les espadons, les lanternes) fut apporté par le Roi Alarian et ses troupes, il y a de cela trois générations.
La société est féodale. C'est-à-dire qu'elle est structurée de façon hiérarchique, pyramidale (au sommet, le roi ; à la base, les serfs), et rigide avec des classes sociales strictes.
Le Roi hérite héréditairement du trône parce que dans ses veines coule du sang "béni". S'il est roi, c'est que les dieux approuvent son statut.
Les nobles sont ses vassaux. Ils lui jurent allégeance et représentent son autorité. Ils appliquent sa loi (expéditive).
Les hommes "libres" ont un métier et un savoir-faire qui leur octroient un statut "spécial". Ils sont apiculteurs, boulangers, bateleurs, maréchaux-ferrants, etc. Pour se défendre et sécuriser leurs droits, ils fondent des guildes. Certaines sont devenues puissantes et font de l'ombre aux Seigneurs. C'est le cas notamment des guildes marchandes, comme la Guilde des Bateliers, dont les navires remontent le fleuve Serpent, principale artère commerciale du Royaume.
Enfin, les serfs sont au service des nobles qui doivent les protéger contre les dangers naturels.
Dans le Royaume d'Alarian, officiellement, il n'y a pas plus bas dans la société que les serfs, l'esclavage étant proscrit. Dans les faits, certains serviteurs sont si mal traités par leurs maîtres qu'ils sont, de fait, des esclaves.
Hors de la société (et donc plus bas que les serfs), on trouve tous les proscrits et parias : voleurs reconnus, forçats, brigands et autres bandits de grand chemin, lépreux. Officiellement, ceux qui présentent un danger pour le Royaume et ses habitants (brigands, pirates) sont traqués et punis. Ceux qui ne présentent pas de danger sont tolérés (par exemple, les lépreux, du moemnt qu'ils vivent à l'écart, dans des léproseries ou dans des villages éloignés), voire appréciés/respectés (c'est le cas des druides, qui vivent dans la nature et entretiennent des rapports neutres et courtois avec les communautés adjacentes. C'est aussi le cas des ermites, qui se sont retirés du monde suite à des visions mystiques et qui peuvent, parfois, faire l'objet de vénération).
Contre les dangers surnaturels, tous (le roi, les nobles, hommes libres et serfs) comptent sur les clercs: ceux du Lÿnh-Dao (bienveillants) et ceux du Noir Sceau (sévères). Ils peuvent aussi compter sur les moines qui, bien que retirés du monde, ont fait serment il y a bien longtemps de protéger le Royaume (pour eux, une terre d'adoption). Enfin, depuis peu (un ou deux siècles), ils peuvent aussi compter sur les paladins du Lÿhn-Dao, qui ont connu une révélation, suivent la voie (Dao) de la lumière (Lÿhn) et vénèrent le Soleil Conquérant (un avatar du roi disparu Alarian ?).
Cette vision du monde, je l'ai signalé à plusieurs reprises, est officielle. Dans les faits, il y a toutes sortes d'écarts, commis par des gens d'alignement neutres ou mauvais. Ces derniers agissent dans leur seul et unique intérêt tout en prétendant oeuvrer pour le bien commun. D'autres se comportent en prédateurs envers leurs prochains. Des nobles complotent contre leur Seigneur tout en lui prêtant hommage. Des prêtres se soucient plus de leur carrière que de leur mission sacrée. Ou bien abusent de leur autorité. Des jugements iniques sont rendus. Des marchands versent pots de vin et rançons dans des buts peu avouables. La hiérarchisation de la société est stricte et peut devenir oppressante. Enfin, toujours en secret, des guildes de voleurs et d'assassins prospèrent en secret dans des grandes villes. Bref, le ver est dans le fruit.
B. L'HISTOIRE DU ROYAUME :
Elle est présentée dans l'article "Alarian : Contes & Légendes du Royaume"
Les postulats qui en découlent sont :
B.1. Le "Peuple d'Avant" :
Une civilisation extrêmement puissante et maléfique régna sur le monde. Elle est à l'origine des magies interdites (nécromancie, démonologie), de l'existence zones corrompues (hantées par des mort-vivants, des spectres ; nimbées de magie noire ; etcetera) et a laissé derrière elle de nombreux artefacts maudits. Grosso modo, tout ce qui est magique et maléfique a pour origine l'Empire Maudit. Aucune autre peuple n'est allé aussi loin dans l'exploration des arcanes... A de mauvaises fins, hélas !
L'empire créa également de nombreux monstres qui aujourd'hui, hantent le Royaume. Ces créatures monstrueuses furent créées pour servir de soldats, de gardiens, mais aussi pour "l'amusement" des citoyens de l'Empire, notamment pour "épicer" leurs jeux du cirque et autres combats de gladiateurs.
Un exemple parmi tant d'autres : les demi-orcs ont été créés par la sorcellerie du Peuple d'Avant. Les sages sont unanimes à ce sujet.
Autre exemple : si des mort-vivants hantent le monde, c'est à cause du "Peuple d'Avant". Personne avant eux n'avait osé enfreindre ce tabou suprême !
Entre autres "distractions", les sorciers du "Peuple d'Avant" créérent des labyrinthes remplis de pièges, de monstres et d'objets magiques. Ils y jetaient d'infortunés esclaves et suivaient leur progression par des moyens magiques. De nombreux donjons sont donc des reliquats de ce peuple maudit.
Cette civilisation perdue est sciemment tombée dans l'oubli. Tout a été fait pour effacer jusqu'à son souvenir. Un tabou absolu, commun à tous les peuples pèse sur les créations du Peuple d'Avant. Tout livre (fut-ce un banal livre de poésie) doit être brûlé. Tout artefact magique doit être désenchanté et détruit. Tout écrit doit être anéanti. Toute oeuvre d'art ou d'artisanat de l'Empire, tout objet impérial doit être détruit.
Contrevenir à cette règle est jugé néfaste, dangereux et criminel, car tout ce qui vient de l'Empire est considéré comme porteur de la malveillance de ce peuple honni.
Le "peuple d'avant" était humain et xénophobe. Il opprima elfes et nains qui en gardent un souvenir cuisant. Encore aujourd'hui, le spectre de l'Empire Maudit empoisonne les relations entre les peuples.
B.2. La guerre de Libération :
Pour vaincre les armées invincibles du "Peuple d'Avant", les elfes ont invoqué les dragons. L'histoire est nimbée de mystères et de contradictions, nul ne sait vraiment ce qui s'est passé, mais une chose est sûre : les dragons sont restés ! D'où venaient-ils ? Pourquoi sont-ils restés ? Que veulent-ils ? Seuls ces derniers pourraient répondre à ces questions, mais en ont-ils seulement envie ? De plus, il faudrait aller à leur rencontre pour les interroger... Et survivre à la rencontre !
Sitôt libérés, elfes et nains s'en sont retournés dans leurs forêts et dans leurs montagnes. Les humains survivants leur en ont voulu. Ils se sont sentis abandonnés. Cette version des faits est notamment défendue par le Noir Sceau.
Alarian et les prêtres du Lÿhn-Dao ont, eux, prêché la réconciliation. Les rancunes entretenues par certains prêtres du Noir Sceau ont été étouffées. La paix royale a été proclamée et imposée. Les mauvaises langues se sont tues... Pour l'instant.
C. DIEUX ET RELIGION DES HOMMES :
Pendant un certain temps, les humains se sont retrouvés sans dieux à vénérer. Cette période obscurantiste, marquée par les famines, les épidémies et les invasions de mort-vivants est appelée l'époque du "Grand Malheur".
Les prophètes du Noir Sceau, religion apocalyptique apparurent. C'était alors plus un courant "philosophique" qu'une religion.
Puis vint la philosophie du Lÿhn Dao, sa vénération du Dieu Lÿhn (la lumière) et du soleil.
Aujourd'hui, les deux philosophies sont en train de rassembler des dieux passés et à venir. Le Lÿhn-Dao et le Noir Sceau sont en train de devenir des panthéons !
Du côté du Lÿhn-Dao est apparu un culte différent de celui de Lÿhn : le Soleil Conquérant, avatar guerrier de Lÿhn. Certains érudits pensent que le Soleil Conquérant pourrait bien être Alarian, objet de culte du peuple, et qui serait en train de devenir un Dieu. L'association est volontiers faite par les paladins du culte.
D'autres saints sont vénérés et en passe de devenir des dieux à part entière. Ce sont :
- Apollinius, le premier des chevaliers, saint-patron des guerriers.
- La mère, figure protectrice, patronne des guérisseurs.
- la Vierge, jeune et dédiée à l'amour,
- et l'aïeule, détentrice de sagesse. A noter que certains érudits pensent que la mère, la vierge et l'aïeule forment une trinité. Ces saintes pourraient accéder à la divinité séparèment, ou bien devenir une seule déesse
Du côté du Noir Sceau, les quatre prophètes qui fondèrent le culte sont eux aussi des saints. Chacun est associé à certains aspects et pourrait bien devenir, à terme, un dieu
Enfin, d'anciens dieux réapparaissent. D'après les érudits, ces dieux païens devaient être ceux des tribus humaines, dont les temples ont été rasés par l'Empire. Il y a :
- le Grand Veneur, en Norven.
- le dieu-cerf, dans la province du Rhu.
- d'autres encore.
Mon idée, c'est qu'après la période apocalyptique du Grand Malheur, les dieux font lentement mais surement leur grand retour et vont investir les deux philosophies qui se transforment, lentement mais surement en deux panthéons opposés. J'aime bien l'idée que les dieux, eux aussi, intriguent pour gagner leur place et ne pas sombrer dans l'oubli...
Petit aparté : par ailleurs, l'idée d'une ascension vers la divinité fait directement allusion aux "Immortal Rules" de Donjons & Dragons qui proposaient aux personnages de monter leurs personnages jusqu'au niveau 36 et donc, de devenir des dieux. Le retro-clone Dark Dungeons reprend ce concept intégralement.
D. MAGIE :
La magie est rare et secrète. Il n'y pas d'académie de magie. Les magiciens sont jaloux de leurs secrets, prennent peu d'apprentis. La superstition des gens du peuple et la crainte qu'ils peuvent inspirer leur sert de protection. Tuer un mage, dit-on, c'est risquer le mauvais oeil. Quant aux puissants, ils reconnaissent le pouvoir des mages comme utile. Mieux vaut s'en faire des alliés.
Dans les campagnes reculées, les sorcières ("witch", une nouvelle classe de perso) font appel à une magie rare et ancienne.
Enfin, les illusionistes s'amusent à explorer les limites de leur magie bien particulière...
E. LES AVENTURIERS :
Le mercenariat est toléré et accepté. Il y a trop de monstres en liberté. Trop de ruines hantées. Trop de dangers. Les milices des bourgs, les garnisons des cités et les hommes d'armes des seigneurs ne sont pas assez nombreux et sont plutôt employés à garder/protéger les zones habitées.
Par ailleurs, un aventurier qui survit et prospère devient intéressant pour les puissants. Le point de vue officiel sur la question est que la "sélection naturelle" opère. Elle fait de l'aventurier un allié potentiel, voire une recrue idéale. En revanche, s'il est recruté par un ennemi, il devient un danger dont il faut se méfier.
F. LES MONSTRES :
Les monstres sont irrémédiablement mauvais. Ce sont des rejetons du Chaos, des êtres indéfectiblement voués au mal, de par leur nature profonde et leur mode de vie.
Parler d'instinct pour le mal n'a rien d'exagéré. instinctivement, les monstres se rassemblent entre eux, se soumetent à plus fort qu'eux et sont attirés par les lieux mauvais (ce qui explique que les donons en soient peuplés). Cet instinct fonctionne commele sens d'orientation des oiseaux migrateurs par exemple.
Imaginons qu'un PJ de niveau 9 se retrouve confronté à des monstres avec 1DV (orcs, gobelins, etc.). Instinctivement, les monstres sentiront que le PJ qui leur fait face, en plus d'être plus puissant qu'eux, est lui aussi d'alignement mauvais. Ciomme eux. Non seulement ils ne seront pas enclins à combattre mais ils pourront fort bien se soumettre au PJ, voire se mettre à son service (s'il ne les a pas tué avant). C'st ainsi que Wismerhill (Chroniques de la Lune Noire) recrute des guerriers orcs à son service.
De la même façon, des mort-vivants apprécieront fort bien la présence d'un puissant nécromancien. Des kobolds ou des hommes-lézards se soumettront naturellement à un puisant dragon. Tout cela se fait de façon naturelle.
Ce n'est évidemment pa s vrai avec un personnage d'aligmenetn BO?. Une soumission/servitude est impossible car contre-nature. Elle répugnera avec violence tant le PJ que les monstres qui lui font face. Soit chacun se retire. Soit (plus probable), l'hostilité palpable dégénérera en affontement violent !
Il n'y a pas de rédemption possible pour un monstre. Sa nature empêche toute négociation, toute alliance. Ce choix manichéen est basé sur les descriptions présentes dans Labyrinth Lord (les gnolls préfèrent les proies intelligentes parce qu'elles crient plus. Les orcs aiment torturer leurs victimes. Les gobelins sont sournois et cruels, etcetera). Il s'agit ici de retrouver l'ambiance noire et horrifique des jeux vidéos Diablo I, Diablo II et Dragon Age (ce n'est ni the Witcher ni World of Warcraft).
Voilà. Ces postulats sont les principaux communiqués à mes joueurs, pour l'instant. D'autres postulats seront prochainement développés et mis par écrit sur le site. Aussi, restez à l'écoute !
BONS JEUX A TOUS !