Lorsque j’ai commencé à écrire ma nouvelle campagne pour jouer à Labyrinth Lord, la question de l’ambiance générale s’est posée de façon inattendue. Mon souhait initial était d’appliquer au pied de la lettre les descriptions et règles du jeu qui, rappelons-le, est un retro-clone de la première édition de D&D.
Or, mes goûts initiaux en matière de Fantasy sont volontiers portés sur le merveilleux, l’onirique, le dépaysement. Des BD comme les Légendes des Contrées Oubliées, la Quête de l’Oiseau du Temps. Des jeux vidéos orientés high fantasy comme World of Warcraft ou Dungeon Keeper (à l'humour noir savoureux). Des rpg japonais aux couleurs acidulées comme Legend of Zelda, Secret of Mana ou "tout récemment" Dragonquest VIII.
Bref, des univers fun et hauts en couleur, peuplés de vilains machiavéliques, de héros sans peur, de princesses à sauver et d’une multitude de créatures bizarres, pas forcément mauvaises, dignes de la cantina de Star Wars. Bref, du "Pulp-Space-Opera-Médiéval-Fantastique".
Or, l’univers original de Donjons & Dragons n’a pas grand-chose à voir avec le Space Opera. Non plus avec la High Fantasy. C’est (à mon humble avis) un univers bâti plutôt sur une double inspiration. D’une part, les récits pulps de Sword & Sorcery des années 20 à 50, volontiers horrifiques (Smith et Howard, Leiber, etc.). D’autre part, les innombrables mythes et légendes des civilisations antiques et médiévales, peuplées de créatures totalement maléfiques. Un simple exemple, les monstres de la mythologie grecque (cyclopes, sirènes, harpies, etc.) pratiquent le cannibalisme dans une écrasante majorité.
Du coup, ce que j’appelle "l’univers original de Donjons & Dragons" s’avère être terriblement sombre.
Les gobelinoïdes (orcs, kobolds, gobelins) sont tous des êtres "sadiques, cruels, aimant la torture", avec mention spéciale pour les orcs. Les gnolls sont eux aussi assez "corsés, hybrides d'humains et de hyènes qui, je cite : "préfèrent dévorer des créatures intelligentes plutôt que de simples animaux, parce qu'elles crient d'avantage" (sic!). Les demi-orcs sont issus des viols commis par les pillards orcs. Enfin, de nombreux monstres sont cannibales, aiment dévorer leur victime vivante, etc.
A ce stade de ma lecture, la question s’est donc posée pour moi : quelle ambiance souhaitais-je mettre en place pour Labyrinth Lord ? Devais-je rester fidèle à l’univers originel ? Ou pas ? Modifier les backgrounds des races/peuples ? Ou les garder tels quels ? Préserver la noirceur initiale ? Ou l’édulcorer ?
Aller au bout de mon choix initial, conserver le jeu en l’état, c’était définitivement faire le choix d’une heroic-fantasy adulte et sombre, violente, crasseuse. C’était quitter les rivages dorés du "tolkienisme" béat (que j’affectionne) pour arpenter les sentiers crasseux de la Dark Fantasy. Celle des deux premières éditions de Warhammer. Celle des jeux vidéo Diablo I et II. Celle de The Witcher et du premier Dragon Age. Des univers violents et cruels. Impitoyables.
Cette approche, si on la joue à fond, justifie du coup le manichéisme longtemps critiqué du jeu. Un jeu où les XP sont gagnés en tuant des monstres (plus ils sont coriaces, plus ça rapporte !) et en pillant des trésors. Un monde où les alignements imposent à chacun la marche à suivre. Un monde divisé entre Bien et Mal. Sans possiblités de négociation ou d’alliances. Un monde d’antagonismes mortels (par exemple, les nains et les gobelins se haïssent tant qu’ils s’attaquent à vue !)
C’est donc un véritable exercice de style, dans la forme mais aussi dans le fond. Un manichéisme outrancier qui donne sa saveur vénéneuse au jeu.
Ainsi, les gamers se souviendront des deux Diablo et de leurs combats à mort contre des hordes de monstres maléfiques. D’une malveillance totale. Inexcusables dans leurs exactions. Impardonnables. Irrécupérables. Et tous assimilés à des démons invoqués/créés par l’archi-démon Diablo et ses frères, Baal et Mephisto.
Avec cette référence en tête et quelques musiques d’ambiance adéquates (les OST des deux Diablo donc, mais aussi les bandes originales de "l’échelle de Jacob", du "Nom de la Rose" et de quelques autres encore), me voilà donc avec un défi inattendu à relever : rendre à Donjons & Dragons (via Labyrinth Lord) son atmosphère originale, macabre et horrifique. Une atmosphère perdue au fil des éditions pour devenir le JDR tout public tant souhaité par ses différents éditeurs.
Un sacré challenge donc et un gros risque de plantage pour moi ! Mais bon, j'ai confiance, j'ai de bons joueurs, du temps devant moi pour y réfléchir et, peut-être, réaménager certains scénarios déjà prévus.
Seconde partie le 28 mai. J'ai hâte d'y être.
D'ici là, mes amis, je me souhaite et vous souhaite de bonnes lectures, beaucoup de fun et naturellement...
BONS JEUX !